Au milieu du bruit médiatique qui ouvre la porte à tous les fantasmes autour des technologies du digital, l’Intelligence Artificielle figure en bonne place. Sans doute la sémantique y est-elle pour beaucoup, puisque l’intelligence est la caractéristique que l’on accorde aux espèces supérieures pour dominer les autres. C’est donc sans surprise que celle promise à la machine contre celle de la race humaine nous projette dans un univers de science-fiction où la machine prend le pouvoir sur l’Homme. Quel bonheur alors de découvrir l’ouvrage de Luc Julia, dont le titre « L’intelligence artificielle n’existe pas » tranche radicalement avec ce point de vue. Loin de vouloir en résumer ici le contenu dont une large partie est consacrée au parcours personnel de ce Français dans la Silicon Valley depuis les années 80, il me semble que des messages essentiels méritent néanmoins d’être partagés.
Quelques exemples choisis illustrent le fait que les mécanismes « intelligents » de la machine ne sont pas de même nature que ceux mis en œuvre par nos cerveaux dont on ne sait pourtant pas grand-chose. Il suffit de deux images de chats à un enfant de quatre ans écrit-il, pour qu’il puisse ensuite reconnaître un chat dans une collection d’animaux, il en faut près de 100 000 à une machine de deep learning pour qu’elle y arrive. Quel que soit l’algorithmie utilisée pour produire le résultat, les écarts de métriques sur la taille de la base de données nécessaire à la réalisation d’une tache unique sont toujours du même ordre de grandeur. Ainsi, Luc Julia parle volontiers d’Intelligence (celle de l’Homme) Augmentée (par la machine). Il la compare à de la « force brute » en particulier dans sa capacité à analyser selon une spécialisation prédéfinie, un très grand nombre de contenus. S’il admet que de ce point de vue, la machine sans qu’elle n’en devienne plus intelligente est supérieure à l’Homme, il ne lui prédit pas un grand avenir dans cette technologie du fait de son bilan énergétique catastrophique. Ici encore les ordres de grandeur sont hallucinants. Alors qu’un cerveau humain consomme en moyenne 20 watts à l’heure en pleine activité, DeepMind, la machine qui joue au go en consomme 440 000 dans le même intervalle de temps, soient 22 000 fois plus! Dès aujourd’hui, alors que seulement 50 % de la planète accède à internet, le web est déjà le troisième « pays » consommateur d’énergie après la Chine et les Etats Unis d’Amérique pour 20% de la production mondiale d’énergie.
Trois cents pages donc, pour purger toute forme d’angoisse quant au risque que la prétendue Intelligence de la machine ne prenne le pas sur celle de l’Homme. Quelques-unes néanmoins plus anxiogènes sur le couplage du big data et des objets connectés, dont la promesse de nous décharger d’un certain nombre de tâches, néglige largement l’analyse de la perte de leur contribution cachée à la valeur de notre quotidien.