Innover au sein des grandes organisations

Introduction

Pourquoi semble-t-il plus difficile d’innover au sein des grandes organisations, plutôt que dans les petites ? En évoquant systématiquement la disruption d’entreprises « corporates » par quelques startups, on finit par croire que la capacité d’innovation dépend essentiellement de la taille de l’entreprise. La médiatisation de quelques exemples, contribue souvent à l’affirmation de ce propos. Ce constat se conclu toutefois toujours en évoquant les facteurs de succès des « petits », plutôt qu’en donnant des pistes d’amélioration aux « plus gros ». Un peu à contre-pied de cette approche, interrogeons-nous alors sur ce qui pourrait bien freiner l’innovation au sein des grandes entreprises.

La notion de disruption

Le langage courant associe volontiers l’innovation à la notion de disruption. S’agissant de startups sans passé, cet enjeu n’existe pour elles que vis-à-vis d’un tiers. Pour une entreprise historique, se penser en rupture c’est penser une nouvelle offre en rupture avec son histoire. Si l’on considère les deux composantes d’une offre : les assets sur lesquels elles se fonde et la proposition de valeur qu’elle produit, il existe alors deux natures de rupture : celle portant sur les assets et celle relative à la proposition de valeur. Par exemple, le courrier électronique disrupte la capacité physique de distribution du courrier de La Poste. Mais, cet asset de maillage territorial et de proximité permet en revanche à La Poste de produire de nouvelles offres en totale rupture avec son catalogue historique. C’est le cas par exemple, de ses offres d’accueil d’épreuve du code de la route, ou d’assistance à la personne.

Bien que ce soit souvent la nature de la rupture apportée par des startups, Il est très difficile pour une entreprise historique de se transformer à partir d’une rupture d’assets. La Poste n’est pas devenue Gmail, pas plus que les chaines hôtelières ne sont devenues RBnB. C’est un premier facteur qui limite la démarche d’innovation au sein des entreprises. Elles confondent en effet trop souvent leur offre, avec les assets qui permettent de la produire. Elles s’empêchent donc de penser de nouvelles offres qui en tireraient partie. Pourtant l’économie de guerre a souvent mis en évidence la capacité à reconvertir la production des outils industriels. Ou plus récemment, la crise sanitaire de la COVID19 a mis en évidence des capacités de transformation spectaculaires fondées sur des recapitalisation d’assets. Par exemple en matière d’organisation sanitaire ou de production de masques ou d’appareils d’assistance respiratoire.

Pour les entreprises ayant déjà une histoire, dans votre volonté d’innovation, commencez alors par vous poser la question de vos points forts en faisant l’exercice de cartographie de vos assets. C’est un point de départ qui vous permettra d’envisager des innovations de rupture sur l’offre de manière beaucoup plus maîtrisée et économiquement plus réaliste.

La notion de rentabilité

Si l’important taux de mortalité des startups les deux premières années traduit un manque de pertinence de l’offre vis-à-vis des attentes réelles du marché, il témoigne également du peu d’importance attachée à la rentabilité à court terme du business model. Pourtant, dire que l’innovation n’a pas d’enjeux économiques serait pour le moins antinomique avec sa finalité ! La rentabilité s’est simplement déplacée du résultat d’exploitation à la valorisation du capital, comme une marque de confiance en l’avenir. C’est une notion que les « entreprises historiques » n’ont pas toutes intégrée. En dehors des grandes opérations de fusion acquisition, la valeur en capital reste principalement associée aux résultats à court terme. Prisonnières du contrôle de gestion, aucun projet, innovant ou non, n’échappe à la démonstration de son retour sur investissement, parfois sur un seul exercice fiscal. Cette réalité limite bien souvent l’approche de l’innovation à sa composante strictement productiviste dans sa contribution à la réduction des valeurs d’exploitation.

Il ne s’agit pas de dire ici que la rentabilité d’un projet innovant n’a pas d’importance. Il s’agit de considérer que son calcul de retour sur investissement doit s’envisager dans un écosystème de valorisation beaucoup plus ambitieux et beaucoup plus large que celui habituellement considéré par les « grandes entreprises ». Il est bon de se rappeler qu’aujourd’hui les leaders de la nouvelle économie d’hier ont largement appliqué ce principe dans leur développement. Ils ont en particulier utilisé le digital pour immerger dans le même écosystème économique un grand nombre d’acteurs associant leurs enjeux. Il suffit de passer une commande sur un site marchand pour le matérialiser.

Pour les entreprises dont nous parlons, le défi entre les mains des managers, consiste donc non seulement à transcender l’offre, mais aussi à en chercher les enjeux dans des chaines de valeur dépassant le cadre strict de l’entreprise, incluant clients et partenaires et à considérer la valorisation d’autres enjeux que ceux immédiatement financiers.

La notion de gouvernance

On a déjà tout écrit et tout lu sur l’impact de la transformation de la gouvernance sur celle de l’entreprise et sur sa capacité d’innovation. Beaucoup de choses ont été expérimentées dans ce domaine. Les processus d’idéation, les hackathons, le gommage de la hiérarchie, l’immersion de cadres dans les labs de startups, dans ceux des prestataires de technologie… Mais in fine, innover c’est d’abord oser. Oser pas seulement pour faire plus de la même chose, pas seulement pour faire la même chose autrement, mais pour faire autre chose. Autre chose qui recapitalise les assets de l’entreprise : sa techno, ses savoir-faire, ses clients, son immobilier…

Il ne s’agit pas ici de projeter l’entreprise dans le vide au prétexte de l’innovation. Il s’agit de mettre en œuvre des démarches où l’on ose repenser la proposition de valeur des assets dans des offres nouvelles, parfois en totale rupture avec l’offre actuelle. En travaillant avec des startups, on réalise leur agilité dans ce domaine. Leur capacité à changer d’idée, d’offre parfois, s’avère spectaculaire parce qu’à un certain stade de leur développement leur raison d’être n’est fondée que sur quelques assets : de l’intelligence, de la motivation, de la proximité avec un donneur d’ordres…

Conclusion

Pourquoi les grandes organisations sont-elles moins innovantes que les petites ? la réponse essentielle est peut-être tout simplement ici, autour de ces enjeux de gouvernance. Comme le directeur financier revisite chaque année les fondamentaux du bilan comptable, ne devrait-on pas chaque année cartographier les principaux assets de l’entreprise ? Et pourquoi ne pas challenger chaque année un appel à projets qui en proposeraient un nouveau sens économique dans des offres innovantes ? Grandes organisations vous avez dans ce domaine la même agilité que les petites, il vous suffit de vous l’autoriser. De vous autorisez à penser en dehors du cadre, tout en s’ancrant fortement sur les fondamentaux de l’entreprise.

Vous retrouverez bientôt la mise en oeuvre de ces messages essentiels dans un ouvrage à paraître sur la transformation digitale du secteur du Facility Management.